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11. L'Angleterre
Plusieurs jours après, un responsable de la prison vint à notre cellule et nous informa que nous quittions la prison. Les formalités pour notre libération demandèrent du temps dans le bureau de la prison. Avant de partir, le commandant me montra le morceau de caoutchouc noir qu'on avait pris. Le caoutchouc avait été enlevé et la lame de scie à métaux avait été découverte. Le commandant sembla extrêmement heureux d'avoir finalement découvert ce qu'était l'objet.
Notre escorte était un commandant de l'armée de l'air espagnole élégant et aimable. Il nous conduisit dans une voiture officielle dans la ville touristique de Saragosse. Pendant le trajet, je me demandais combien de milliers de prisonniers politiques purgeaient une peine dans les autres prisons espagnoles. Beaucoup de prisonniers étaient encore très jeunes. Ils n'étaient certainement que des gosses quand ils avaient combattu pendant la guerre civile.
Qu'est-ce qu'il adviendrait des jeunes français qui avaient fuit en Espagne avec nous ? Ils avaient quitté la France avec le rêve de se battre pour leur patrie. Réaliseraient-ils un jour ce rêve ?
Le commandant espagnol nous enregistra dans un vieil hôtel de tourisme. On nous recommanda de rester dans la ville jusqu'à ce que de nouvelles dispositions furent prises. Dans la salle à manger de l'hôtel, la nourriture était bonne et j'attendais avec impatience l'heure du repas. Je pesais alors environ 9 kilos de moins que la normale et j'étais affaibli par la dysenterie. Dans l'hôtel, il y avait un certain nombre de bains alimentés par des sources d'eau minérale. Je passais des heures dans le bain à lire et me relaxer. L'eau minérale avait un effet bénéfique sur les plaies provoquées par des piqûres d'insectes qui habitaient les matelas de la prison.
Après plusieurs jours, le commandant espagnol revint et nous conduisit à Alhama. Il y aurait encore plusieurs jours, disait-il, avant que nous puissions quitter l'Espagne.
Nous avions fini l'enregistrement à l'hôtel quand un jeune homme, le crâne rasé, s'approcha. Il se présenta comme le Lieutenant John Dunbar (1). John nous procura des vêtements d'une cachette de l'hôtel. Nous passâmes d'agréables heures à siroter de la bière et à parler pendant les jours qui suivirent. Il avait fui la France sans aide organisée - un exploit en soi - et il avait marché souvent plusieurs jours durant, sans nourriture ni eau.
L'histoire de notre voyage hors d'Espagne et notre retour en Angleterre est racontée dans le livre passionnant de Dunbar - " Escape Through The Pyrenees ", et il est donc inutile de fournir tous les détails ici. En résumé, de Alahama, on nous conduisit à Madrid, où des papiers avaient été préparés pour quitter le pays. De Madrid, on voyagea en automobile jusqu'à Gibraltar où on nous livra aux autorités militaires des Etats-Unis. Quelques jours après, nous nous envolâmes vers Marrakech. Puis quelques jours plus tard, nous retournâmes en Angleterre par avion.
De retour en Angleterre(2), je rentrai dans une école de la " Royal Air Force Intelligence " et je donnai plusieurs conférences sur mes expériences aux équipages de bombardiers nouvellement arrivés.
Quand j'étais à l'école, j'appris qu'un emblème non officiel existait pour les aviateurs qui finissaient leur mission à pied. Quelques anciens évadés avaient conçu l'emblème qui représentait une petite botte en argent avec des ailes attachées. C'était le symbole d'une mission que je n'oublierai jamais.
Lorsque je revins rendre visite à mon " bomb group ", plusieurs visages m'étaient inconnus. Pendant cet été 1943, il y eut de lourdes pertes. Peut-être quelques-uns de mes amis, s'ils étaient assez chanceux pour échapper à la capture, commençaient maintenant l'aventure que je venais d'achever.
Quatorze années et demi(3) passant effacèrent de ma mémoire quelques dates et quelques endroits où des événements avaient eu lieu. Cependant je garderai en mémoire le groupe de Français qui a frôlé la mort pour moi.
Le courage et la force morale de ce groupe de Français - et d'autres groupes comme eux- symbolisent l'esprit et la détermination d'un peuple épris de liberté à résister à l'oppression.
FIN
(1) Lt. John Dunbar – It was the Fourth of July in 1943 when Dunbar’s plane was shot out of the sky over La Pallice, France. After receiving assistance from local Frenchmen in the German-occupied territory he marched for 18 days through France dressed as a peasant. For five of those days he had no food. For the rest, he survived off beer and scraps of food that had fallen off carts along the road. Three weeks later he crossed the Pyrenees mountains on foot into Spain, where he was captured by the Guardia Civil and later released.
(2) Arrivée en Angleterre le 8 septembre 1943, c'est à dire environ deux mois après le crash à Saint-Colomban
(2) Ralph McKee voulait écrire cette histoire. Mais ce n'est qu'en 1958 qu'il finit par prendre sa plume, suite à l'insistance d'un journaliste de l'USAF Air Command and Staff College.
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