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5. Près du lac
Le lendemain matin, on me plaça dans une charrette et on me recouvrit d'un tas de foin. Un cheval tira la charrette pour sortir de la cour de la ferme et nous partîmes le long des routes et à travers champs. Lorsque la charrette s'arrêta et qu'on retira le foin, je vis que nous étions au bord du marais(1) qui était couvert de hautes herbes.
Le fermier et moi trouvâmes un endroit sec et il me donna du pain, du fromage et une bouteille de vin qu'il avait apporté. Il avait les larmes aux yeux lorsqu'il me signala qu'il aimerait m'aider davantage, mais que les Allemands tueraient sa famille si on me trouvait dans sa ferme. Il me dit que des amis viendraient pour moi cette nuit.
Le temps s'écoulait lentement alors que je m'asseyais dans l'herbe sans rien à lire et si peu à faire. J'examinai encore et encore mon plan d'évasion, envisageant les itinéraires de fuite possibles sur la carte. Il y avait seulement deux possibilités : faire route vers la côte et embarquer sur un bateau neutre ou bien marcher vers le Sud et traverser les Pyrénées pour se rendre en Espagne.
Je n'étais pas très loin de la baie, mais le littoral devait être lourdement surveillé et il serait impossible de trouver un bateau neutre avec un équipage prêt à m'aider. Cette route semblait présenter beaucoup d'obstacles, surtout depuis que j'étais habillé en uniforme de coton kaki et avec une veste d'aviateur. Les Pyrénées étaient environ à 400 km à vol d'oiseau. Ajoutez 80 km de plus pour la distance par route et cela ferait un total de 480 km. Cela prendrait au moins 15 nuits de marche puisque les nuits étaient courtes.
Pendant que je méditais ces pensées, je fus surpris par un tir lointain de mitrailleuse. A travers la plaine, je pus distinguer un nombre de baraquements. Apparemment c'était un camp de l'armée allemande.
Après le coucher du soleil, deux jeunes hommes(2) me rendirent visite. Il m'apportèrent de la nourriture, une bouteille de vin et une autre de cognac. Ils avaient essayé de rentrer en contact avec l'organisation mais sans succès. Je ne devais pas désespérer par contre, parce qu'ils réussiraient certainement le lendemain.
La nuit était chaude et dormir sur un lit d'herbes de marais n'était pas trop inconfortable. Le lendemain, je me levai avec le soleil et commençai alors une autre journée à ne rien faire.
Vers midi, j'eus un autre visiteur. C'était un prêtre qui parlait parfaitement l'anglais. Nous discutâmes longuement de l'Angleterre, des Etats-Unis et de la guerre. Plusieurs des hommes qui m'étaient venus en aide étaient membres de son église et avaient sollicité son aide. Il n'avait pas de contact avec l'organisation et ne savait aucunement comment y arriver.
Recevoir davantage d'aide des amis français serait préjudiciable pour leur vie et celle de leur famille. Je dus admettre que sans aide coordonnée, le risque n'en valait pas la peine pour eux étant donné le peu de chances de succès. Le prête me donna sa bénédiction et partit. Je me demandais s'il y avait un autre endroit sur terre où les hommes auraient risqué la mort, s'ils étaient attrapés, en m'aidant autant que cela.
Mon destin était maintenant entre mes mains. Je pesais les problèmes auxquels j'étais confronté. Je devrais marcher au minimum 480 km et ensuite traverser la frontière. J'avais toujours une douleur persistante dans le dos qui pouvait s'aggraver. Je devrais voyager de nuit et éviter les villes et villages. Je devrais éviter les gardes et les patrouilles. Je devrais chercher ma nourriture, mais nous étions au milieu de l'été et les fruits et légumes abondaient. Je décidais de passer une nuit de plus dans le marais, de programmer mon itinéraire le lendemain et de commencer mon voyage le surlendemain.
A la tombée de la nuit, le ciel se couvrit et une pluie fraîche commença à tomber. Mes vêtements furent vite trempés et mon sommeil était sporadique. La bouteille de cognac rendit cette nuit humide plus supportable. Vers le matin, la pluie s'arrêta et je m'endormis.
Aux premières lueurs du jour, des voix me réveillèrent. C'étaient les deux jeunes gens qui m'avaient rendu visite la première nuit dans le marais. Ils craignaient que je fusse parti et que j'eusse commencé mon voyage. Ils étaient tout excités. Mes ennuis étaient terminés. Le soir même, deux hommes viendraient avec trois vélos et ils m'emmèneraient en ville.
Ce soir-là, deux hommes d'une trentaine d'années arrivèrent avec un paquet de vêtements. Je me débarrassai des vêtements et uniforme de pilote. Après avoir enlevé mes ailes et barrettes de lieutenant et je m'habillai en civil. Mes nouveaux amis me montrèrent comment porter le béret.
(1) Marais bordant le lac de Grand Lieu à St-Philbert de Grand Lieu
(2) Jean Chataigner et Bernard Papin
Lire le Témoignage de Jean Chataigner
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