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9. Frontière espagnole
Après le crépuscule, un camion arriva. Tout le groupe, excepté un guide, s'assit sur le plancher de la benne et une grande bâche nous recouvrit. Le camion s'arrêta après deux heures de route et nous sortîmes et commençâmes la marche. Il n'y avait plus de route maintenant et nous marchions sur des sentiers. Il n'y avait pas de lune, la seule lumière venait des étoiles. Le sentier devenait escarpé. Les longues montées étaient ponctuées par de courtes descentes de marche lors de l'ascension de la chaîne de montagnes. Chaque pas devenait une tâche de plus en plus ardue. Les guides étaient devant et derrière la file chuchotant " Allez, allez ". J'entendis ce mot des centaines de fois cette nuit là et le lendemain matin.
Lorsque nous trouvions un ruisseau dans la montagne, nous buvions et nous nous lavions le visage. Les arrêts étaient rares et nous progressions à une allure régulière. Peu de temps après l'aube, nous arrivâmes à une ferme-
chalet de montagne. Le fermier ne sembla pas étonné de nous voir et il nous montra le foin fauché. La maison et la grange ne faisaient qu'un seul bâtiment. Les animaux de la ferme étaient à l'écurie dans un enclos au rez-de-chaussée alors que les pièces d'habitation et le foin occupaient l'étage supérieur. Je m'endormis dans le foin tandis que le soleil s'élevait au-dessus des montagnes.
La plupart d'entre nous se réveilla au milieu de l'après-midi. Cette nuit, nous traverserions la frontière. Les conversations et spéculations sur ce que nous ferions après notre traversée en Espagne allaient bon train. Les guides pensaient qu'il n'y aurait pas de difficulté à contacter le consulat britannique le plus proche et obtenir de l'aide.
La femme du fermier avait préparé un grand ragoût de viande bouillie. Il était nourrissant, bien que non relevé, mais nous le mangeâmes voracement. La nourriture avait été peu abondante ces deux derniers jours.
Après le lever du jour, nous quittâmes la maison. Nous avançâmes avec empressement sur un sentier escarpé mais balisé. Bientôt le sentier se rétrécit en un étroit passage rocailleux. Seule une chèvre au pied sûr pouvait négocier un tel passage. Alors que nous grimpions plus haut, la montagne semblait se transformer en un solide rocher. A la faible lumière des étoiles, je pouvais souvent voir des précipices abrupts au-dessous du chemin.
A minuit, nos guides estimèrent que nous étions à trois ou quatre kilomètres de la frontière. La plus grande prudence était maintenant recommandée. En quelques minutes, des semaines de travail et de plans pouvaient échouer. Nous nous arrêtâmes souvent pour écouter et regarder attentivement dans l'obscurité.
Nous traversâmes ce qui semblait être la crête la plus haute des montagnes et continuâmes le chemin rocailleux. Les guides étaient soulagés d'être alors de l'autre côté de la frontière(1), mais nous devions poursuivre plus loin en Espagne avant l'aube. Dans cette région accidentée, il serait facile pour les Allemands de rallier le territoire espagnol et de nous capturer jusque là.
Le chemin était meilleur et se poursuivait le long d'un torrent rapide. Jusque là, nous avions échappé à la fois aux Allemands et aux gardes frontaliers espagnols. Le labeur et le suspense de ces trois dernières nuits semblait être un rêve.
En bas du chemin, nous pouvions voir de la fumée s'échapper d'une cheminée. Un des guides partit devant pour vérifier. Il revint et nous descendîmes vers une maison de berger basque.
La famille basque nous vendit un peu de nourriture et du vin. Le vin était dans un sac en peau et il fallait être habile pour se verser le petit filet de liquide dans la gorge. Le vin réchauffa nos estomacs et nos esprits.
(1) Arrivée en Espagne le 10 Août 1943, c'est à dire environ un mois après le crash à Saint-Colomban
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