7. En train


Le voyage en train(1) vers Paris se passa sans histoire. Au milieu d'une foule importante, nous présentâmes nos laissez-passer au passage de la porte de la gare. Les gardes allemands nous laissèrent passer machinalement.
On nous conduisit, Bill et moi, dans un appartement moderne à quelques pas du centre de Paris. Nous restâmes là le reste de la nuit, puis le jour et la nuit suivante. La bibliothèque de notre hôte contenait plusieurs classiques américains que nous lûmes avec empressement.
Le jour suivant, on nous déplaça dans un autre appartement(2) pour entreprendre les derniers préparatifs. L'après-midi, deux autres aviateurs américains(3) de plus furent conduits à l'appartement. Nous apprîmes qu'ils venaient d'un " bomb group " voisin de retour d'Angleterre.
Une vieille femme qui vivait dans l'appartement nous distrayait et nous faisait quelques frayeurs. De son fauteuil à bascule sur le balcon de l'appartement du troisième étage, elle crachait sur les soldats allemands lorsqu'ils passaient devant elle et les injuriait en douce.
Un homme, la cinquantaine, à l'air distingué, nous donna des instructions pour la dernière étape de notre voyage en Espagne. Nous prendrions un train express pour le terminus sud, voyagerions en bus vers une ville près de la frontière et traverserions la frontière la nuit suivante. Chacun de nous avait un ballot, comprenant du pain, de la nourriture et quelques habits, maintenu par un fichu noué. A nouveau nous jouerions le rôle de sourds-muets et notre guide parlerait à notre place. C'était le dernier voyage comme escorte pour notre guide et il nous accompagnerait jusqu'en Espagne. De l'Espagne, il poursuivrait jusqu'en Afrique du Nord et rejoindrait les Forces Françaises Libres du Général De Gaulle.
Notre guide acheta des tickets à la gare et nous passâmes les portes sans montrer nos papiers d'identité. En moins d'une heure, j'apprendrais pourquoi nous n'avions pas eu de contrôle.
Le train était bondé, et nous trouvâmes tous les sièges occupés. Notre petit groupe n'avait d'autre alternative que de voyager debout dans l'étroit couloir central. Rapidement nous fûmes rejoints par d'autres voyageurs qui prirent position dans le couloir. Cela ne serait pas un voyage confortable, mais peut-être serions-nous moins voyants parmi tous ces gens debout. Le train démarra. Je trouvais qu'un effort de chaque instant était nécessaire pour jouer le rôle de sourd-muet dans ce wagon bondé. Le frottement des roues sur les rails sonnait comme une musique. Chaque minute nous faisait avancer un peu plus vers la liberté.
Brusquement, je fus ramené à la réalité. Le conducteur vint dans le wagon pour vérifier les billets. Juste derrière lui, il y avait deux officiers de la Gestapo en uniforme qui vérifiaient nos papiers d'identité. Mon cœur battait plus rapidement et j'avais le trac.
Mes faux-papiers étaient-ils assez bien faits ? Mon déguisement serait-il crédible ? Le béret ne couvrait pas beaucoup mes cheveux blonds et mon visage rubicond ne faisait vraiment pas français. Est-ce que quatre sourds-muets dans un groupe éveilleraient des soupçons ?
Les hommes de la Gestapo se glissèrent dans le wagon. Je présentai mon passeport et j'attendis. L'officier regarda mon visage, examina la carte immédiatement et poursuivit avec l'un de mes compagnons. Tout était en ordre dans le wagon, et ils continuèrent dans le wagon suivant. Je ressentis une profonde reconnaissance pour le plan audacieux et détaillé qui avait été préparé.
La nuit avançait. Mon dos me faisait mal et je ne pouvais pas m'asseoir ou m'allonger pour me soulager. Je m'endormis à moitié alors que je m'inclinais sur le côté du wagon. Le besoin de dormir s'éloigna à la lueur du jour.
A nouveau les hommes de la Gestapo vérifièrent tous les papiers d'identité des passagers. Je ressemblais plus au reste des voyageurs fatigués maintenant. A nouveau, les papiers furent contrôlés.
En milieu de matinée, nous quittâmes le train à Mont de Marsan après environ 11 heures de voyage. Je découvris que notre groupe s'était agrandi de deux guides et environ neuf évadés. Deux des évadés, que je retrouvai plus tard, étaient des pilotes polonais qui s'étaient échappés d'un camp de prisonnier allemand.


(1) D'après le livre "Soldats de l'ombre" de Briac LE DIOURON, Ralph McKee et Bill Wetzel prennent le train de Paris le 31 juillet 1943
(2) Appartement du Docteur Gorju (information de loïc Lemarchand)
(3) L'un des aviateurs, Roscoe Greene était membre de l'équipage du B17 (94th BG) tombé sur le ventre le 14 juillet 1943 à Bérengeville-la-Campagne dans l'Eure. L'autre, Larry Templeton était membre du B17 (94th BG) tombé à Saint-Germain-des-Angles (Eure) aussi le 14 juillet 1943. Les 4 aviateurs quittèrent l'appartement du Docteur Gorju, le 4 (voire le 5) aôut 1943. (information de Loïc Lemarchand d'après le livre "THEIR DEEDS OF VALOR" de Don Lasseter, et ses contacts avec les familles des "helpers")

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